Le poète et le temps

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Mario Luzi développe, en particulier dans ses derniers recueils «symphoniques», une profonde méditation sur le temps, pensé dans la perspective qui est la sienne, chrétienne, d’éternité. En voici un exemple dans un poème publié dans le livre Sotto specie umana à Mi­lan en 1999, et traduit en français par Jean-Yves Masson sous le titre A l’image de l’homme (Verdier, 2004). (Je donne la traduction en français, suivie du texte original.)

© Editions Verdier 2004 pour la traduction française de Jean-Yves Masson

© Garzanti Milano 1999 pour le texte originalLUZI_STAT_OCTOBRE_DORE_MASSON - copie

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L’enseignement


“L’élève pour lequel on fait chacun de ses cours, pour lequel on érige sa parole, pour lequel on la dirige vers plus de justesse, et qu’on ne regarde jamais, auquel on ne va jamais parler, par humilité et par nécessité : on  ne doit pas trop exister pour lui. On ne doit pas faire écran. (Cette année, c’est Maria la flibustière des mers de Chine; au début de l’enseignement, ce fut Saïd le philosophe, qui partageait en tout ma morale de la distance.)”

                 La Fin de l’attente, Le Temps qu’il fait, p. 82.

Maria laissa un jour dans un devoir une lettre en anglais de son père, et eut un étrange regard quand je lui rendis sa copie avec la lettre bien cachée. Saïd me demanda avec une émotion non feinte à quoi pouvait bien servir le poème de Mallarmé “Brise marine”. Chacune de ses “rédactions” était admirable, et je regrette de ne pas les avoir toutes copiées pour pouvoir les relire. Il avait une vive sensibilité proustienne, et on comprend bien qu’il ne pouvait souffrir les bibelots du jeune Mallarmé. Saïd m’a donné à lire un des plus beaux textes que j’ai lus sur la Mère, tout empreint de la plus noble compassion.

 

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André Dhôtel, René Daumal, Arthur Rimbaud

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André Dhôtel, René Daumal, Arthur Rimbaud

     « Daumal dans ses diverses tentatives de dérèglement ou d’austérité, subit le même échec que Rimbaud en ses négations ou contradictions. Il n’en sort pas. Cependant comme lui acquis à une conviction inébranlable : la véritable voie spirituelle est un secret à retrouver, c’est-à-dire un élan originel vers ce qui est autre, vers l’inconnu qui nous échappe et seul peut nous redonner la lumière et le salut.

Cela n’est pas une aliénation (j’ai joué de bons tours à la folie, dit Rimbaud) mais une vision venue de l’extérieur au travers de quelque rupture opérée dans le monde, dans la pensée rationnelle aussi bien qu’irrationnelle.

Il s’agit pour Daumal comme pour Rimbaud de bien autre chose que de combattre la morale constituée, les lieux communs mystiques ou l’idéal prôné par les écoles. Ils ont formé le vœu de se livrer à une étude qui ravive une source première de la pensée, provoque une renaissance inattendue.

Daumal s’affirme comme Rimbaud par un retrait semblable à une défaite mais qui permet de veiller à l’avènement d’une pensée innommable.

Ce qu’ils exigent c’est une présence : la présence de ce qui ou de qui vient d’ailleurs, en dehors de tout intention ou finalité. »

              René Daumal, Lausanne, Editions L’Âge d’homme, collection « Les Dossiers H », février 1993, p. 217 ; repris in « Petite Anthologie rimbaldienne », Cahier André Dhôtel n° 7, « La Route inconnue », Association des Amis d’André Dhôtel, 2010, p. 151. © François Dhôtel, 2010.

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René Daumal par André Dhôtel

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Fallait-il être un Ardennais pour évoquer si parfaitement et si précisément la vie et l’oeuvre d’un autre poète ardennais? Nul ne m’empêchera de le croire. Quelque chose dans cet étrange pays de frontière semble porter à une extrême précision dans l’évocation de l’inconnu. André Dhôtel a rédigé l’article consacré à René Daumal  dans le Nouveau Dictionnaire des Auteurs de tous les temps et de tous les pays, Robert Laffont, 1980. Ce texte est une introduction merveilleuse à une oeuvre difficile entre toutes.

En voici la conclusion:

“La démarche de Daumal se situe donc dans un courant profond où la pensée, depuis Rimbaud, tend à établir que la connaissance essentielle ne peut nous être donnée que par une mystique et même une poésie qui s’affirment comme seule vraie science. A la condition expresse que les croyances et les réalisations de l’art ne cessent d’être interrogées, au cours de notre vie et de notre conduite, la vérité ne peut que parler en nous, dans notre langage, et assurer notre destin au-delà d’un monde dont la réalité exige déjà, à tout instant, une révolution transcendante. Pour quoi Daumal, homme de religion, cherche à renoncer à toute prétention afin d’écouter une parole (aussi bien littéraire) venue d’ailleurs pour nous sauver.”

Nouveau Dictionnaire des Auteurs de tous les temps et de tous les pays, Robert Laffont, 1980, tome I, p. 825.

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La vérité c’est le merveilleux

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gravure de Marie Alloy 
en couverture du livre d'André Dhôtel, 
Le Petit Livre clair, 
Deyrolle & Théodore Balmoral éditeurs.

     « Cherchez à mentir, vous trouverez la vérité ; car il est impossible de mentir : une sorte de châtiment s’attache au mensonge. Je ne sais pas quel miracle du langage le langage traque l’erreur, le désaccord.

     Pour mentir longtemps il faut répéter toujours la même chose – et bientôt la répétition devance l’impuissance.

     La vérité se révèle par quelque chose de plus que la cohérence (les mensonges sont cohérents) par un progrès, par la multiplicité des recoupements et des rencontres, par sa chance.

     La vérité c’est le merveilleux : le merveilleux signe du vrai, non de la vérité abstraite, mais la vérité conforme à notre désir essentiel, celle qui est la rencontre des lois du monde et du bonheur. En tout cas nous ne cherchons pas autre chose. Cette vérité favorise l’action hardie, audacieuse, désintéressée et se confond avec l’amour. »

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             Ainsi, en se perdant obstinément dans les mille et un mensonges de l’amour, en poursuivant la quête toujours vaine de la jeune fille qui, les yeux dans les yeux, vous fit la grâce d’un refus définitif, la cherchant et cherchant encore derrière tous les remparts de pierres jaunes, derrière toutes les portes de bois, vous voici devant les cactées dérisoires et poussiéreuses, les végétaux desséchés du Jardin des plantes de Charleville, et là, dans la misérable et glorieuse flaque de soleil, vous découvrez l’absente vainement poursuivie, vous accédez à sa véridique absence : vous êtes au cœur du monde. Il n’y a rien, et tout vous est donné. DSC05277

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