André Dhôtel, René Daumal, Arthur Rimbaud

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André Dhôtel, René Daumal, Arthur Rimbaud

     « Daumal dans ses diverses tentatives de dérèglement ou d’austérité, subit le même échec que Rimbaud en ses négations ou contradictions. Il n’en sort pas. Cependant comme lui acquis à une conviction inébranlable : la véritable voie spirituelle est un secret à retrouver, c’est-à-dire un élan originel vers ce qui est autre, vers l’inconnu qui nous échappe et seul peut nous redonner la lumière et le salut.

Cela n’est pas une aliénation (j’ai joué de bons tours à la folie, dit Rimbaud) mais une vision venue de l’extérieur au travers de quelque rupture opérée dans le monde, dans la pensée rationnelle aussi bien qu’irrationnelle.

Il s’agit pour Daumal comme pour Rimbaud de bien autre chose que de combattre la morale constituée, les lieux communs mystiques ou l’idéal prôné par les écoles. Ils ont formé le vœu de se livrer à une étude qui ravive une source première de la pensée, provoque une renaissance inattendue.

Daumal s’affirme comme Rimbaud par un retrait semblable à une défaite mais qui permet de veiller à l’avènement d’une pensée innommable.

Ce qu’ils exigent c’est une présence : la présence de ce qui ou de qui vient d’ailleurs, en dehors de tout intention ou finalité. »

              René Daumal, Lausanne, Editions L’Âge d’homme, collection « Les Dossiers H », février 1993, p. 217 ; repris in « Petite Anthologie rimbaldienne », Cahier André Dhôtel n° 7, « La Route inconnue », Association des Amis d’André Dhôtel, 2010, p. 151. © François Dhôtel, 2010.

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René Daumal par André Dhôtel

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Fallait-il être un Ardennais pour évoquer si parfaitement et si précisément la vie et l’oeuvre d’un autre poète ardennais? Nul ne m’empêchera de le croire. Quelque chose dans cet étrange pays de frontière semble porter à une extrême précision dans l’évocation de l’inconnu. André Dhôtel a rédigé l’article consacré à René Daumal  dans le Nouveau Dictionnaire des Auteurs de tous les temps et de tous les pays, Robert Laffont, 1980. Ce texte est une introduction merveilleuse à une oeuvre difficile entre toutes.

En voici la conclusion:

“La démarche de Daumal se situe donc dans un courant profond où la pensée, depuis Rimbaud, tend à établir que la connaissance essentielle ne peut nous être donnée que par une mystique et même une poésie qui s’affirment comme seule vraie science. A la condition expresse que les croyances et les réalisations de l’art ne cessent d’être interrogées, au cours de notre vie et de notre conduite, la vérité ne peut que parler en nous, dans notre langage, et assurer notre destin au-delà d’un monde dont la réalité exige déjà, à tout instant, une révolution transcendante. Pour quoi Daumal, homme de religion, cherche à renoncer à toute prétention afin d’écouter une parole (aussi bien littéraire) venue d’ailleurs pour nous sauver.”

Nouveau Dictionnaire des Auteurs de tous les temps et de tous les pays, Robert Laffont, 1980, tome I, p. 825.

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“Un chantier au soleil levant”

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« André Dhôtel est notre Dickens. La beauté de ses romans vient d’abord de leur abondance spontanée, de leur générosité naïve. Comme les conteurs arabes, Dhôtel déploie son petit tapis, et puis se met à raconter, et à raconter sans fin. Et nous sommes suspendus à ses mots. Il s’agit d’aventures tout à fait banales qui arrivent à notre voisin comme à nous : au facteur de notre rue, au cordonnier, au garçon de courses – encore qu’elles aient peut-être une préférence pour les malheureux, pour les inquiets et pour les méchants. Pourtant la grandeur d’André Dhôtel est ailleurs. A travers le malheur et la méchanceté, l’apparente médiocrité de l’existence, il poursuit on ne sait quelle vérité où nous serions tous réconciliés. Il la poursuit et j’ai eu plus de cent fois l’impression qu’il l’avait trouvée et qu’il nous en faisait cadeau, dans le même émerveillement qui nous vient d’un subit rayon de soleil, d’un sourire, d’une aurore. On dirait un chantier au soleil levant, avec ses établis, ses pierres, ses outils encore brillants de rosée. »

Jean Paulhan, dans La Tribune de Lausanne, cité par Patrick Reumaux dans L’honorable Monsieur Dhôtel, La Manufacture, Die, 1984, p. 93.

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On ne peut mieux dire. La dernière phrase de ce texte me fait songer au Prologue de Simone Weil :

« Il me fit sortir et monter jusqu’à une mansarde d’où l’on voyait par la fenêtre ouverte toute la ville, quelques échafaudages de bois, le fleuve où l’on déchargeait des bateaux. Il me fit asseoir.

Nous étions seuls. Il parla. Parfois quelqu’un entrait, se mêlait à la conversation, puis partait.

Ce n’était plus l’hiver. Ce n’était pas encore le printemps. Les branches des arbres étaient nues, sans bourgeons, dans un air froid et plein de soleil. »

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Le chemin

Je suis paresseux

 

« Pour vivre j’ai un emploi stable, mal rétribué, qui me laisse peu de loisirs. Je fais des écritures. Je suis paresseux et je pratique la paresse avec une application studieuse. L’important n’est pas de dormir mais de bien savoir que l’on dort. Le travail m’émeut en ce qu’il conduit à un repos plus étonnant que ne le ferait l’inaction. Ce ne sont pas le nombre des heures vides qui m’intéresse ni leur vanité même, plutôt je ne sais quelle qualité attentive. »

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André Dhôtel, La Littérature et le hasard, Fata Morgana, 2015, p. 34.

 

En effet, André Dhôtel est un bon professeur de sagesse, l’important n’est pas d’être paresseux, mais bien de l’être avec application. Cette voie exige la plus grande rigueur. Un instant d’inattention, et le chemin est perdu. On retombe dans le temps perdu.

Le chemin de sagesse est le chemin de paresse.

André Dhôtel écrivait au lit.

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Une fraîcheur sans nom

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« Cette jeunesse (car c’était la jeunesse) se maintient étrangement intacte dans ces bourgs où rien ne la contrôle. J’entends bien : ce sont des velléités, mais ce terme est mal choisi, car il fait justement partie de ce vocabulaire de l’indifférence où tout se cache. Il s’agissait bien d’une sorte d’attente, amis dont la vigilance extrême se fissure un jour, je l’ai dit, parce que certains d’entre nous ont couru pour cela au devant de la mort, parce que d’autres trouvèrent de singulières combines pour satisfaire leurs élans personnels. »

André Dhôtel, La Littérature et le hasard, Fata Morgana, 2015, p. 34.

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Je voudrais me souvenir du nom de ce camarade de lycée que je rencontrai dans la rue de la République, quand je sortais, comme un voleur, de la librairie de Charleville où je venais d’acquérir Fureur et Mystère de René Char, en Poésie/Gallimard (achevé d’imprimer du 6 janvier 1967, ce qui donne une indication bien approximative sur la date de l’événement). Il fut un peu indiscret et regarda dans la pochette. Je rougis en avouant que c’était de la poésie… Et lui rougit encore plus fort en me confessant que lui ne lisait que Victor Hugo, en ce moment c’était Notre Dame de Paris. Avant de nous séparer, il me confia qu’il passait ses dimanches sur le toit de sa maison de village, dans un bourg perdu des Ardennes.

Je me dis que mon camarade, dont je regrette qu’il ne soit pas devenu mon ami, était sans doute un personnage de Dhôtel, perdu dans une attente infinie de la merveille…

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