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Je suis né à Alger en 1952. Je vis à Beaugency, en bord de Loire, sous ce ciel.
Ce sont les livres et les poèmes qui sont les poignées de main dont parlait Paul Celan. C’est l’encre et le papier qui permettent la rencontre de l’auteur et du lecteur. Sans négliger le moyen de vous atteindre que vous utilisez en ce moment, je vous donne rendez-vous dans les bonnes librairies et dans les bonnes bibliothèques.
Jean Pierre Vidal
Vient de paraître
Passage des embellies
aux éditions Arfuyen.
Présentation du livre par l’éditeur
« Devant cette centaine de cartes à jouer, cartes déjà jouées et remises en jeu sur la table de l’écriture, figures de la vie passante plus que passée, le vertige me prend. » Aucune écriture plus intime que celle-ci, et cependant si finement passée au tamis de la mémoire et de l’écriture que les souvenirs en sont métamorphosés. L’art est aussi présent que la vie, la fiction aussi vraie que la confidence. Les proses se répondent, s’annulent, créant comme un vertige. Cartes à jouer, mais de quel jeu s’agit-il où le lecteur se perd, où l’auteur sans cesse s’absente. Restent les images, les reflets, le temps : « Vivre au présent les merveilles du passé donné et les transmettre à l’avenir qui n’appartient à personne, c’est cela écrire. » Constitué de courtes proses, Passage des embellies est construit en 7 parties : « Cartes à jouer » ; « Enfances » ; « La beauté du parcours » ; « Mer et désert » ; « Élans, interruptions » ; « Cinq poètes » et « Chant bibliques ». Ils déterminent un vaste espace de contemplation qui va de la peinture (Hugo van der Goes, Piero della Francesca, Vermeer, Morandi…) à la littérature (Simone Weil, Paul de Roux, Jules Supervielle…) en passant par le cinéma. La suite intitulée Thanks comprend 23 poèmes. Citons les vers reproduits en 4e de couverture : « Qui fut aimé par la lumière / garde en lui / au plus profond de son ombre / s’il consent à ces ténèbres / garde en lui / préservée par l’ombre même / l’amande de la lumière une »
Un nouveau livre d’artiste de Marie Alloy
Poèmes de Jean Pierre Vidal, estampes de Marie Alloy
Paru aux Editions Le Silence qui roule
Exercice de l’adieu
de Jean Pierre Vidal
Présentation de l’ouvrage
Présentation du livre de Jean Pierre Vidal : EXERCICE DE L’ADIEU
Le témoin en personne
Il y a des livres dont on ne peut emprunter les voies ou suivre les lignes qu’en prenant le bon aiguillage. C’est, dans celui-ci, nécessité. Se défaire de tous ses bagages pour lire à nu, dans le vif du vécu. Étrange d’apprendre qu’un aiguillage est composé d’une partie mobile et d’une partie fixe et que la partie où se croisent les voies est appelée le cœur. Ici l’auteur nous place à la croisée de ses mouvements les plus intimes, sans se masquer. Ses notes ont décanté l’expérience vécue et l’auteur cherche à en tirer pensées et forme d’enseignement. Son écriture est un témoignage vivant, un « Exercice de l’adieu ».
L’écriture « ne vise qu’à retrouver ces moments où la grâce m’a été donnée » dit Jean Pierre Vidal. Par l’attention à l’autre, la contemplation, l’observation sévère ou l’admiration spirituelle, la présence partagée trouve sa juste amplitude. Mais comme l’écrit Dante dans le dernier chant du Paradis : « La personne même du témoin est ce témoignage. »
L’auteur questionne ici la perte, la finitude, l’inachevé, le manque et le manquement à l’autre. Il témoigne des souffrances et des difficultés à vivre et penser ce vécu. Il témoigne des beautés passagères et celles, plus durables, qui éclaircissent les jours mais dont on finit par être séparé.
Comment écrire ce qui fut vécu, qui dépasse le pouvoir des mots ? « Comme est celui qui voit en rêvant ce qui, après le rêve, laisse une impression profonde et aucun souvenir ne revient » (Dante), le poète écrit à partir de cette vision imprimée dans le cœur, mu par un désir de vérité et d’unité. Son travail est une réflexion autour de la mémoire et de l’acte d’écriture où le témoin finalement compte plus que le témoignage. Mais y aura-t-il un témoin pour le témoin ? (Ce fut la question de Paul Celan)
Il s’agit d’une disposition d’esprit, d’une disposition vitale en regard de toute existence. Être le témoin en personne, singulier et anonyme.
Tenter d’établir une relation sincère, profonde, au monde, par un vrai « travail d’amour », détaché des conventions sociales. Chercher à percer en l’autre sa voix, tenter de l’aider à trouver sa place en lui rendant grâce, cette place si singulière venue de l’enfance. Il s’agit d’apprendre ensemble à se reconnaître dans l’inscription véridique des différences. L’auteur, en moraliste, devient un élément conducteur, un poète libre d’aller, de créer en chacun l’élan d’un mouvement bienfaisant, une forme de mutation éthique.
Chaque rencontre, dans ce livre, est chemin d’obéissance, est écoute et travail de dénuement, un lieu de paroles et d’amour que rien n’apaise, avec parfois le sentiment d’une étrangeté irréconciliable de l’autre en soi. C’est un travail de dépossession par l’écoute attentionnée de la souffrance et de la beauté du monde, pour un surcroît possible de vie.
Si le langage va souvent au-delà de la réalité, la devance ou la précède, l’auteur cherche à tenir le présent vécu dans une exactitude toujours à reformuler, à repenser. Son écriture s’ouvre autant à l’absence qu’à cet insaisissable présent que l’attention dilate, lui donnant forme et sens.
© Marie Alloy, Beaugency, 9 décembre 2018
Editions Le Silence qui roule, le 10 décembre 2018
Un article de Paul Gellings, poète et romancier néerlandais, dans La Revue littéraire, n° 77, mars-avril 2019 (extrait) :
La pensée à l’état pur, pourvu qu’elle soit bien exprimée (mais pourrait-elle jamais se passer d’une élégante expression ?) amène nécessairement la poésie, la véritable, le secret de toute littérature digne de ce nom. À travers les lignes d’un beau texte on entend toujours une voix émergeant de profondeurs indicibles qui cependant se disent et se lisent, et dont le reflet apparaît sous le mouvement d’une plume parfaitement maîtrisée. Tel est le cas d’Exercice de l’adieu, le dernier ouvrage de Jean Pierre Vidal, où des images fort évocatrices et des réflexions confinant souvent à l’aphorisme forment une heureuse harmonie.
Le poète y chante sa prise de conscience d’un « éternel provisoire » n’excluant ni la beauté ni le bien ni le désir – ce dernier fût-il voisin de l’adultère et finalement du meurtre, ces deux grands crimes qui constituent précisément les thèmes majeurs de La peau douce de François Truffaut. Selon Vidal c’est le meilleur film de celui-ci, « une parfaite réussite », et ce, à cause de cette exactitude humaine, qui se moque de la morale. »
Nulle morale donc ici, aucune leçon à suivre ; s’affirme au contraire un projet aussi contemplatif que lyrique, une introspection sans nombrilisme, des sentiments sans sentimentalisme, une claire raison dénuée des froideurs de l’intellect. On aurait envie de citer l’ouvrage tout entier afin de priser encore et encore le lyrisme sur lequel il est bâti, lyrisme aboutissant même à un moment donné à des vers au sens classique.
Une lecture attentive de Patrick Corneau
« Il m’est apparu à le lire qu’à un certain niveau d’expression de la pensée dans son délié, sa pénétrante véracité (qui peut être de l’ordre de l’évident non-vu, caché dans son «flagrant» ou du subtil qui « échappe » au nom d’implacables nécessités), l’élégance va de soi – elle est même dans la conjonction du bien dire et du dire le bien, la marque insigne du poétique. Là est le secret de toute littérature qui aborde à des profondeurs indicibles, qu’il est malaisé – et pour cause – de rendre compte dans la langue commune. C’est dire la maîtrise à laquelle atteint Jean-Pierre Vidal dans ce dernier opus où ses réflexions combinent harmonieusement, c’est-à-dire complémentairement, le fragment (parfois un peu développé), l’aphorisme lapidaire et le poème classique. Le jeu des formes, avec les formes convoqué pour un projet qui se veut aussi contemplatif que lyrique, introspectif sans nombrilisme complaisant, sentimental sans pathos, grave (parfois) sans pesanteur ni grandiloquence – toujours exigeant dans la soif d’intégrité et le désir de justesse sans violence ni cynisme.
« Car ce qui est beau et bon, et juste, et sans mélange, doit être dit, pour amplifier l’action de la justesse dans le monde.
Car le monde a besoin de cette beauté et de cette justesse, comme du pain et du vin. »
Lire l’intégralité de l’article dans l’excellent blog Le Lorgnon mélancolique
Poésie naissante, anthologie
Le Jardin aux trois secrets, avec des estampes de Marie Alloy, Le Silence qui roule, 2015.
Parution en octobre 2015, aux éditions Le Silence qui roule du livre d’artiste :
LE JARDIN AUX TROIS SECRETS de Jean Pierre Vidal, estampes de Marie Alloy
« J’ai vu un jour, dans La Quinzaine littéraire, une photographie de Thomas Bernhard enfant, un enfant dans la force de la vie, de l’insolence et de l’invincibilité de la vie. La nuit suivante, j’ai fait ce rêve, un rêve très narratif et très visuel, avec des images très précises que j’ai tenté de transmettre dans les mots. Il est donc difficile de me sentir l’auteur d’un texte qui m’a été dicté par le visage d’un enfant que je n’ai pas connu et où, pourtant, j’ai reconnu ma propre enfance, toute aussi inconnue. »
Graver la végétation du rêve
J’ai tenu, dès le départ, à ne retenir que l’idée de jardin pour accompagner ce beau poème de Jean Pierre Vidal, afin de préserver ses secrets. J’ai, peu à peu, orienté mes recherches gravées, vers un monde végétal mental, ne souhaitant ni créer un paysage ni une sorte de décor qui empêcherait le rêve de circuler entre les pages. J’ai cherché, en m’aidant de la technique du vernis mou, à composer avec des empreintes de végétaux ramassés dans le jardin, utilisant leurs dessins pour prolonger les miens et les baignant dans l’ombre et la lumière de l’aquatinte. J’ai obtenu quelque chose de l’ordre de l’herbier sauvage, tout en délicatesse, que les herbes soient fines ou les feuillages touffus.
La gravure restitue ce qui s’imprime en se dérobant à la prise du réel, elle rend visible l’empreinte avec, comme un voile lointain, une mise hors de portée. Ici j’ai pensé à la végétation d’un rêve, avec sa part d’inquiétude et la simplicité de l’enfance. J’ai recherché un équilibre, toujours sur le seuil du rêve, entre les trois temps du poème et leurs correspondances avec les gravures, pour faire résonner entre eux un sentiment d’étrangeté douce et familière.
Le jeu délicat et fragile des empreintes fait ressortir la lumière du papier et unifie ici la typographie et les estampes. Le trait végétal prend parfois une teneur irréelle, laissant le regard glisser entre les mots et les empreintes gravées. Le temps semble suspendu dans ce livre, lové dans une matière cendreuse mais précise. Les infimes détails d’une herbe ou de petites feuilles recroquevillées, miniaturisées, dessinent une sorte de dérive légère et libre.
C’est, au fil des temps du poème, l’intimité silencieuse des feuillages qui transparaît, puis la douceur de ce calme s’envole tout à coup, se rompt. Après être passées par la blancheur d’une chapelle vide, les plantes sèches et volatiles retombent en tournoyant sur le sol de la page pour s’y recueillir avec la dernière strophe du poème.
Le temps du graveur se divise en étapes, en états. Le graveur fait confiance aux processus de l’acide, de la corrosion du métal et ses aléas, aux textures du papier pour que les herbes et diverses plantes, pressées sous les cylindres puis mordues à l’eau forte, retrouvent une seconde vie, entre noir et blanc. Le papier humide accueille leurs empreintes sans résistance, et ici même, avec tendresse, conservant la caresse secrète du poème, comme sa folie souveraine. Les feuilles et herbes séchées, rétractées, s’ancrent dans la plaque de métal, constituant, au fur et à mesure des états, un palimpseste où la mémoire, incrustée dans le papier, suggère les restes du rêve. Le gris des plantes gravées, encrées, puis imprimées, rappelle celui de la cendre, en une doublure d’ombre.
Partage du rêve, accompagnement sensible dans le livre. Je ressens le secret de ce poème dans la délicatesse de l’amour qui l’écrit, où le désir, en filigrane, est mu par des mouvements profonds. Quelque chose de mystérieux naît puis s’efface tout à coup comme le visage de l’enfance. J’ai tenté de graver la pureté fragile de l’élan amoureux puis de faire ressentir la fuite, la honte devant l’appel du désir, par les changements de ton des empreintes végétales. Pour que ce rêve se poursuive, comme l’enfance, Jean Pierre Vidal a dédié ce livre à son petit-fils.
Marie Alloy, septembre 2015