De la mélancolie (en lisant Agamben)

LOUP

Loup

Le Mélancolique est un contemplatif dévoyé qui désire dévorer l’Insaisissable, se jette sur l’objet de son amour, préférant porter son deuil que d’en subir la distance infinie.

« Les mélancoliques ont de grands os contenant peu de moelle, laquelle toutefois brûle si fort qu’elle les rend envers les femmes aussi incontinents que des vipères… ils sont excessivement luxurieux et immodérés avec les femmes, comme des ânes, à tel point que l’interruption de leur débauche pourrait aisément les rendre fous… leur étreinte est odieuse, tortueuse et mortelle comme celle des loups sauvages… bien qu’ils aient commerce avec les femmes, ils les ont prises en haine.»

Ainsi parle Hidegarde de Bingen, mystique, musicienne et savante (1098-1179).

Hildegarde de Bingen

Hildegarde de Bingen

Marsile Ficin (1433-1499), néoplatonicien florentin, n’hésite pas à ajouter :

« Où que se porte l’intention assidue de l’âme affluent aussi les esprits, qui en sont le véhicule et l’instrument. Les esprits sont produits dans le cœur par ce que le sang a de plus subtil. L’âme de l’amant est entraînée vers l’image de l’objet aimé, inscrite dans son imagination, et vers l’objet aimé lui-même. Les esprits sont attirés vers ce même but, mais leur vol obsédant les épuise. Aussi un constant afflux de sang est-il nécessaire pour recréer les esprits épuisés. Les particules les plus délicates et les plus transparentes du sang s’évaporent chaque jour pour les régénérer, le sang clair et pur se défait et il ne reste que le sang impur, épais, aride et noir. Alors le corps se dessèche et dépérit, et les amants deviennent mélancoliques. C’est en effet le sang sec, épais et noir qui produit la mélancolie ou bile noire, qui emplit la tête de ses vapeurs, dessèche le cerveau et oppresse constamment l’âme, jour et nuit, de visions sinistres et effroyables… C’est pour avoir observé ce phénomène que les médecins de l’antiquité ont affirmé que l’amour est une passion proche de la maladie mélancolique. Le médecin Rasis prescrit ainsi, pour en guérir, le coït, le jeûne, l’ivresse, la marche à pied … »

[1] M. Ficin, De amore, éd. critique de R. Marcel, Paris, 1956, VI, 9.

Marsile Ficin

Vous connaissez votre mal, vous connaissez à présent les remèdes…

Lisez Stanze de Giorgio Agamben, philosophe italien né en 1942.

AGAMBEN STANZE

Abu Bakr Mohammad Ibn Zakariya al-Razi, connu aussi comme Razi (persan : رازی ) ou Al-Razi, ou Ar-Razi, ou Ibn Zakaria (Zakariya) ou (en latin) comme Rhazes et Rasis, ou Rhasès (865925) est un savant pluridisciplinaire perse qui a fait d’importantes contributions à la médecine, à l’alchimie et à la philosophie1. Alchimiste devenu médecin, il aurait isolé l’acide sulfurique et l’éthanol2 dont il fut parmi les premiers à prôner l’utilisation médicale. S’agissant de la pratique médicale, il a vigoureusement défendu la démarche scientifique dans le diagnostic et la thérapeutique et a largement influencé la conception de l’organisation hospitalière en lien avec la formation des futurs médecins. Empiriste et rationaliste, il fut l’objet de nombreuses critiques pour son opposition à l’aristotélisme et sa libre-pensée vis-à-vis de la religion musulmane.

De nos jours son nom est commémoré avec l’institut Razi (en) près de Téhéran et son anniversaire est célébré tous les 27 août en Iran lors de la « Journée de la pharmacie. »  (Wikipédia)

 

 

 

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Le visage est une énigme

Dans le visage humain, les yeux nous frappent non pour leur transparence expressive, mais précisément pour le contraire : leur résistance obstinée à l’expression, leur trouble. Et si nous fixons du regard les yeux de l’autre, nous voyons si peu cet autre que ses yeux nous renvoient notre reflet, cette image miniaturisée qui donne son nom à la pupille.
En ce sens, le regard est vraiment « la lie de l’homme », mais ce dépôt de l’humain, cette opacité abyssale, cette misère du visage (dans laquelle l’amant s’égare si souvent, et que l’homme politique sait si bien évaluer pour en faire un instrument de pouvoir) est l’unique sceau de sa spiritualité.
Giorgio Agamben, Idée de la prose, trad. Gérard Macé, Christian Bourgois éd..

L’énigme d’un autre que nous avons croisé, que nous avons cru aimer, ne pas chercher à la réduire par une formule, mais seulement la contempler comme une blessure inguérissable, comme une défaite bénéfique de notre désir de posséder.

Comment prendre le chemin de la contemplation plutôt que celui de la possession, qui de toute façon n’est qu’un leurre ?

La beauté est une énigme, nous voulons la détruire ou la posséder.

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