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A l’heure où le très petit despote du Kremlin menace sans cesse le monde d’une apocalypse nucléaire, obsédé qu’il est par la nécessité de revivre les atrocités du XXe siècle, il est bon de relire un bref récit d’un homme qui a vécu deux guerres mondiales., et qui a pu vivre dans sa chair l’horreur de la guerre industrielle.
« Nous nous trouvons dans une situation où nous disposons d’une puissance formidable. Nous n’arrêtons pas de soutirer des choses à la terre : que ce soit du pétrole, de l’uranium, etc. Notre situation ressemble à celle d’Aladin. C’est un jeune homme à qui un magicien a mis un instrument en main, une lampe merveilleuse qui dispose d’une énorme puissance. Il lui suffit de la frotter pour qu’apparaisse un puissant génie qui lui procure ce qu’il veut. Il peut passer commande d’un harem ou se faire construire des palais en une nuit. Nous en sommes également capables. La lampe d’Aladin est en terre cuite ou en cuivre. Et la nôtre aussi vient de la terre, mais elle est en uranium. Si nous la frottons, nous n’obtenons pas de la lumière, nous obtenons plus que de la lumière : des forces monstrueuses. Et qu’est-ce qu’Aladin tire de sa lampe ? Il se fait construire des palais, il fait tout ce qui correspond à une imagination d’enfant. C’est d’ailleurs là que réside le charme de ce conte. Mais il mène finalement une vie médiocre, telle qu’en rêve tout homme médiocre : il mène la vie d’un petit despote […]. Le parallèle me semble très riche de prolongements, dans la même situation. Des énergies monstrueuses viennent à nous, et qu’en faisons-nous ? Au lieu d’édifier un monde magnifique où se réaliseraient de grandes utopies, où, par exemple, plus personne n’aurait besoin de travailler, nous n’y pensons même pas, nous utilisons notre lampe à entasser des stocks de bombes atomiques. »
Ernst Jünger, entretien avec Julien Hervier (Gallimard) à propos de son roman Le Problème d’Aladin, trad. Henri Thomas, Christian Bourgois, 1984.