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« LES ÉTOILES FIXES. – « La poésie, que Dieu me pardonne ! doit être un peu bête » dit un des plus intelligents, peut-être même le plus intelligent parmi les Russes : Pouchkine. Et il continua néanmoins à écrire des vers et à introduire dans ces vers cette part de bêtise sans laquelle, tout comme les aliments sans sel, devient insupportable. On peut donc, si on le désire, simuler la bêtise, et la simuler de telle sorte que tous prennent cette bêtise simulée pour sincère et véridique. Je dirai même plus : on peut aussi simuler l’intelligence, et la simuler si bien qu’il ne viendra à l’esprit de personne d’y voir une comédie. Et il faut dire que la majorité des écrivains doit se préoccuper, à l’inverse de Pouchkine, non pas tant de paraître sots que de paraître intelligents. Et les faits sont là pour nous prouver que leurs efforts sont couronnés d’un brillant succès. Il est probable que l’essence même du talent littéraire consiste à jouer habilement l’intelligence, la noblesse, la beauté, l’audace, etc. Car les hommes intelligents, nobles, audacieux sont bien rares, tandis qu’il y a tant d’écrivains de talent ! On parvient si bien à contrefaire même la sincérité, que l’œil le plus exercé s’y trompe aisément. Il se peut que Pouchkine agisse si fort sur nous, précisément parce qu’il n’a pas envie d’être intelligent, parce qu’il comprend combien peu vaut l’intelligence. »
Léon Chestov, Le Pouvoir des clés, trad. Boris de Schloezer, nouvelle édition de Ramona Fotiade, Le Bruit du temps éditeur, 2010, pp. 90-91.
Pour moi, la magie des romans et des nouvelles d’André Dhôtel tient à ce refus têtu de paraître intelligent, ou même seulement logique. Ses livres, ses phrases sont des kōans.