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La pire des catastrophes pour l’homme et de passer à côté du drame, d’en ignorer l’insondable gravité, car il est sûr de ne pouvoir alors accéder à la joie vivifiante. Il vaut encore mieux mourir de douleur avant d’avoir atteint la joie que de mourir prématurément de cette ignorance des peines insurmontables, seules capables de nous révéler notre vertu première. Sans la douleur, l’homme meurt de ne pas faire l’expérience de la force de la joie : qu’il ignore pour n’avoir pas eu l’occasion de l’utiliser. Sous l’effet d’une quiétude mortelle, sa vertu s’atrophie. La vraie santé de l’âme est ailleurs. « Souviens-toi que tu fus enfanté dans la douleur », dit une antique voix prophétique. Sache toujours te rappeler l’évidence première de ton échec, car c’est en lui, au sein de la douleur, et là seulement, que naîtra pour toi la joie primitive et sacrée dont seule la force te fera vivre.
Clément Rosset, Les Matins de l’esprit, chapitre III « La vertu de Jeunesse », Encre marine, 2021.
Photographie de Clément Rosset : © Marie-Laure de Decker, Paris, mai 1968.