un peu de désert autour de moi

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648x415_ecrivain-stephane-mallarmeLettre de Stéphane Mallarmé à Michel Baronnet

Paris, le 28 janvier 1888

Mon cher Baronnet,
Vous avez cette intuition amicale du plus vieux de mes rêves, manger quelques dattes chaque jour présentées par une main charitable et vivre sans plus de souci. Il me semble un peu que cela ait lieu, mais plus délectablement que je ne m’attendais, n’ayant pratiqué ce fruit que sirupeux et dû à l’épicier. Vraiment, c’est prodigieux de douceur et du luxe de nutrition qu’on sent y sommeiller. Ces dames, qui se guérissent un rhume avec, vous remercient de grand cœur, comme moi. […]
Je n’ai pas l’impression que vous vous ennuyiez trop, là-bas *, car, outre vos besognes, vous savez vivre seul, même je vous envie, ah ! si le fond de la boîte où s’étagent les dattes répandait un peu de désert autour de moi. […]

Adresse :
Lettre, il faut que tu t’antidates
Pour ne pas trop tard conter qu’on est
Avec ou sans caisse de dattes
Pas plus charmant que Baronnet…
 
* Baronnet était en Afrique du Nord.
Stéphane Mallarmé, Correspondance III 1886-1889, recueillie, classée et annotée par Henri Mondor et Lloyd James Austin, Gallimard, 1969, pp. 167-168.

 

 

 

L’enseignement

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« L’élève pour lequel on fait chacun de ses cours, pour lequel on érige sa parole, pour lequel on la dirige vers plus de justesse, et qu’on ne regarde jamais, auquel on ne va jamais parler, par humilité et par nécessité : on  ne doit pas trop exister pour lui. On ne doit pas faire écran. (Cette année, c’est Maria la flibustière des mers de Chine; au début de l’enseignement, ce fut Saïd le philosophe, qui partageait en tout ma morale de la distance.) »

                 La Fin de l’attente, Le Temps qu’il fait, p. 82.

Maria laissa un jour dans un devoir une lettre en anglais de son père, et eut un étrange regard quand je lui rendis sa copie avec la lettre bien cachée. Saïd me demanda avec une émotion non feinte à quoi pouvait bien servir le poème de Mallarmé « Brise marine ». Chacune de ses « rédactions » était admirable, et je regrette de ne pas les avoir toutes copiées pour pouvoir les relire. Il avait une vive sensibilité proustienne, et on comprend bien qu’il ne pouvait souffrir les bibelots du jeune Mallarmé. Saïd m’a donné à lire un des plus beaux textes que j’ai lus sur la Mère, tout empreint de la plus noble compassion.