René Daumal par André Dhôtel

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Fallait-il être un Ardennais pour évoquer si parfaitement et si précisément la vie et l’oeuvre d’un autre poète ardennais? Nul ne m’empêchera de le croire. Quelque chose dans cet étrange pays de frontière semble porter à une extrême précision dans l’évocation de l’inconnu. André Dhôtel a rédigé l’article consacré à René Daumal  dans le Nouveau Dictionnaire des Auteurs de tous les temps et de tous les pays, Robert Laffont, 1980. Ce texte est une introduction merveilleuse à une oeuvre difficile entre toutes.

En voici la conclusion:

« La démarche de Daumal se situe donc dans un courant profond où la pensée, depuis Rimbaud, tend à établir que la connaissance essentielle ne peut nous être donnée que par une mystique et même une poésie qui s’affirment comme seule vraie science. A la condition expresse que les croyances et les réalisations de l’art ne cessent d’être interrogées, au cours de notre vie et de notre conduite, la vérité ne peut que parler en nous, dans notre langage, et assurer notre destin au-delà d’un monde dont la réalité exige déjà, à tout instant, une révolution transcendante. Pour quoi Daumal, homme de religion, cherche à renoncer à toute prétention afin d’écouter une parole (aussi bien littéraire) venue d’ailleurs pour nous sauver. »

Nouveau Dictionnaire des Auteurs de tous les temps et de tous les pays, Robert Laffont, 1980, tome I, p. 825.

La vérité c’est le merveilleux

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gravure de Marie Alloy 
en couverture du livre d'André Dhôtel, 
Le Petit Livre clair, 
Deyrolle & Théodore Balmoral éditeurs.

     « Cherchez à mentir, vous trouverez la vérité ; car il est impossible de mentir : une sorte de châtiment s’attache au mensonge. Je ne sais pas quel miracle du langage le langage traque l’erreur, le désaccord.

     Pour mentir longtemps il faut répéter toujours la même chose – et bientôt la répétition devance l’impuissance.

     La vérité se révèle par quelque chose de plus que la cohérence (les mensonges sont cohérents) par un progrès, par la multiplicité des recoupements et des rencontres, par sa chance.

     La vérité c’est le merveilleux : le merveilleux signe du vrai, non de la vérité abstraite, mais la vérité conforme à notre désir essentiel, celle qui est la rencontre des lois du monde et du bonheur. En tout cas nous ne cherchons pas autre chose. Cette vérité favorise l’action hardie, audacieuse, désintéressée et se confond avec l’amour. »

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             Ainsi, en se perdant obstinément dans les mille et un mensonges de l’amour, en poursuivant la quête toujours vaine de la jeune fille qui, les yeux dans les yeux, vous fit la grâce d’un refus définitif, la cherchant et cherchant encore derrière tous les remparts de pierres jaunes, derrière toutes les portes de bois, vous voici devant les cactées dérisoires et poussiéreuses, les végétaux desséchés du Jardin des plantes de Charleville, et là, dans la misérable et glorieuse flaque de soleil, vous découvrez l’absente vainement poursuivie, vous accédez à sa véridique absence : vous êtes au cœur du monde. Il n’y a rien, et tout vous est donné. DSC05277

Le chemin

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Je suis paresseux

 

« Pour vivre j’ai un emploi stable, mal rétribué, qui me laisse peu de loisirs. Je fais des écritures. Je suis paresseux et je pratique la paresse avec une application studieuse. L’important n’est pas de dormir mais de bien savoir que l’on dort. Le travail m’émeut en ce qu’il conduit à un repos plus étonnant que ne le ferait l’inaction. Ce ne sont pas le nombre des heures vides qui m’intéresse ni leur vanité même, plutôt je ne sais quelle qualité attentive. »

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André Dhôtel, La Littérature et le hasard, Fata Morgana, 2015, p. 34.

 

En effet, André Dhôtel est un bon professeur de sagesse, l’important n’est pas d’être paresseux, mais bien de l’être avec application. Cette voie exige la plus grande rigueur. Un instant d’inattention, et le chemin est perdu. On retombe dans le temps perdu.

Le chemin de sagesse est le chemin de paresse.

André Dhôtel écrivait au lit.

Une fraîcheur sans nom

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« Cette jeunesse (car c’était la jeunesse) se maintient étrangement intacte dans ces bourgs où rien ne la contrôle. J’entends bien : ce sont des velléités, mais ce terme est mal choisi, car il fait justement partie de ce vocabulaire de l’indifférence où tout se cache. Il s’agissait bien d’une sorte d’attente, amis dont la vigilance extrême se fissure un jour, je l’ai dit, parce que certains d’entre nous ont couru pour cela au devant de la mort, parce que d’autres trouvèrent de singulières combines pour satisfaire leurs élans personnels. »

André Dhôtel, La Littérature et le hasard, Fata Morgana, 2015, p. 34.

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Je voudrais me souvenir du nom de ce camarade de lycée que je rencontrai dans la rue de la République, quand je sortais, comme un voleur, de la librairie de Charleville où je venais d’acquérir Fureur et Mystère de René Char, en Poésie/Gallimard (achevé d’imprimer du 6 janvier 1967, ce qui donne une indication bien approximative sur la date de l’événement). Il fut un peu indiscret et regarda dans la pochette. Je rougis en avouant que c’était de la poésie… Et lui rougit encore plus fort en me confessant que lui ne lisait que Victor Hugo, en ce moment c’était Notre Dame de Paris. Avant de nous séparer, il me confia qu’il passait ses dimanches sur le toit de sa maison de village, dans un bourg perdu des Ardennes.

Je me dis que mon camarade, dont je regrette qu’il ne soit pas devenu mon ami, était sans doute un personnage de Dhôtel, perdu dans une attente infinie de la merveille…

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Cette graine insignifiante

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On ne peut guère écrire sans avoir aimé à la folie une route, ce pré suspendu, cet être vivant, ami ou amie, ou bien l’oiseau, la neige, la fleur élue pour des années.

Qu’est-ce que cela signifie : aimer? Cette fleur.. Cette achillée dont le rose est à la fois couleur éteinte et éblouissante (comment est-ce possible?). Et puis quel rapport avec le cri de l’oiseau de proie, avec les canaux rêveurs, un appel parfois tragique? Bientôt en effet il y a mille autres présences qui se croisent et que traverses toujours forcément cette autre parole sans prix, insaisissable et tout à fait évidente.

Au vrai, ce qu’on aime c’est cet événement nouveau qui passe dans les plus claires notations. La voix se divise et nous en demeurons toujours étonnés. Nous avons dit ceci et cela. Ça sonne d’une certaine façon, et tout d’un coup un chant inattendu renaît. Un souffle (réel sans aucun doute) emporte notre phrase abandonnée comme le parachute d’une graine et nous emporte en même temps comme la graine elle-même. Cette graine insignifiante… En tout cas si merveilleusement perdue dans un voyage désiré que l’impossible serait déjà présent.

André Dhôtel, « Rhétorique fabuleuse »,  Nouvelle Revue Française, n° 214, octobre 1970, repris dans le Cahier André Dhôtel n° 13, La Route inconnue, association des amis d’André Dhôtel, 2015.