RUSE DE MARC-AURELE

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RUSE DE MARC-AURÈLE

“ Je me suis souvent demandé avec étonnement, écrit Marc-Aurèle, pourquoi chacun de nous s’aime plus que tous les autres, et attache cependant moins de prix à son propre jugement sur soi-même qu’à celui des autres. Il est certain que si un Dieu ou un maître sage venait nous ordonner de ne jamais rien concevoir, ni rien penser en nous-mêmes sans aussitôt l’exprimer au-dehors, le crier même, nous ne le supporterions pas un seul jour. Il est donc vrai que nous appréhendons l’opinion du voisin sur nous-même plus que la nôtre.”
On éprouve du raisonnement le passage, et l’endroit difficile. Il faut admettre, ou le reste s’effondre, que c’est sur la même pensée que les autres se prononcent, et nous-mêmes, et donc que cette pensée se peut à volonté porter du dedans au dehors, ou l’inverse : les mots ne marquent pas sur elle, ces mots sont comme s’ils n’étaient pas.
(Je suppose qu’une idée aussi aiguë, et à chaque instant menacée, faisait le souci principal de Marc-Aurèle. Seulement il la voulait faire passer en proposant à l’attention un paradoxe plaisant.)
Les jugements communs sur le mensonge ou la sincérité supposent le même fond : c’est à savoir que l’on parle sa pensée directement, sans intermédiaires, plutôt que de parler ses mots dont l’enchaînement et les jeux pourraient, suivant des lois variées, donner des combinaisons étonnantes.
Il vient de là quelque sentiments curieux : celui, entre autres, de la duplicité du menteur qui, dans le même moment, suppose la morale, pense le vrai et dit le faux. Mais il suffit d’avoir quelque habitude du mensonge pour reconnaître ici une illusion misérable. »

Jean Paulhan, Jacob Cow le pirate ou Si les mots sont des signes, Œuvres complètes, II, p.210.

Bataille par Leiris

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Le portrait de Bataille par Leiris est magnifique et assez effrayant : « Plutôt maigre et d’allure à la fois dans le siècle et romantique, [il] possédait l’élégance dont il ne départirait jamais […] A ses yeux assez rapprochés et enfoncés, riches de tout le bleu du ciel, s’alliait sa curieuse dentition de bête des bois, fréquemment découvertes par un rire que (peut-être à tort) je jugeais sarcastique. »
«De Bataille l’impossible à l’impossible Documents», Michel Leiris, A propos de Georges Bataille, Fourbis, 1988, p. 19.

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Méfiance

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photo Gyula Zarand

Il est évidemment déplorable d’avoir un cœur humain. Ce que nous voulons ce n’est pas nous incorporer au thème d’une humanité conçue de telle ou telle façon, mais nous affirmer malgré ce thème. L’amour du prochain a une originalité évidente. Il procède du sentiment que chaque être réalise une exception. L’unification humanitaire des passions peut être conçue par quelque dogme social, jamais par la littérature.

C’est pourquoi il n’y a pas lieu de se plaindre qu’une masse d’hommes se trouve coupée d’une connaissance suffisante et se compose de groupes foncièrement étrangers. Le premier enseignement de la littérature c’est l’indépendance et la sauvagerie (d’accord avec l’amour, l’amitié et n’importe quelle expression de l’amour).

N’exagérons rien. Tout de même il y a par exemple des lecteurs de romans d’amour, parmi ceux-ci certains tiennent pour le mariage, d’autres pour la liberté passionnelle, d’autres pour la courtoisie, pour le coup de foudre, le malheur, le bonheur, les scènes, la jalousie, une sagesse, une amitié. […]

Croyez-vous qu’en somme le public se compose d’aussi étonnantes variétés ? En tout cas chacun recherche bien cette sauvagerie dont je parlais, quelque sentiment qui ne soit qu’à lui, et ressemble si rarement à celui d’un autre que les amitiés sont toujours exceptionnelles quoique fréquentes.

Mais la meilleure preuve est cette méfiance qui se manifeste partout.

André Dhôtel, La Littérature et le hasard, Fata Morgana, 2015, pp. 42-43.

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Quand on voit partout cette méticuleuse méfiance, il y a mieux à faire que de la secourir ou de l’étayer, comme le préconisait héroïquement Kafka – « Dans le combat entre le monde et toi, seconde le monde », mais il serait absurde de lutter contre elle, de faire le moindre geste, de proférer la moindre parole pour tenter de la dissoudre. Il sera tout de même permis d’en rire.

L’emblème de la Caritée

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« Il est remarqué dans la Vie de S. Louis, écrite par Mr. Joinville, que S. Louis étant allé dans la Terre Sainte, ils trouvèrent dans la Ville d’Acre une femme qui tenant un flambeau dans une main, et une cruche d’eau dans l’autre, allait par la ville de cette sorte. Un bon Ecclésiastique qui la vit, lui demanda ce qu’elle voulait faire de cette eau et de ce feu ? C’est, dit-elle, pour brûler le Paradis et éteindre l’Enfer, afin qu’il n’y ait jamais plus ni Paradis ni Enfer. Et le Religieux lui demandant pourquoi elle disait ces paroles, elle répondit : Parce que je ne veux plus qu’aucun fasse jamais de bien en ce monde pour en avoir le Paradis pour récompense : ni aussi qu’on ne se garde plus de pécher par la crainte de l’Enfer, mais bien le doit-on faire pour l’entier et parfait amour que nous devons avoir à notre Dieu Créateur, qui est le bien souverain, etc. » Mme Guyon, Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets, Cologne, 1716, t. II, p. 313, cité par Jacques Le Brun, Le Pur Amour de Platon à Lacan, Seuil, 2002, p. 107.

L’emblème de la Caritée