Notes sur Judith

valentin-de-boulogne-judith-et-holopherne-v-1626-huile-sur-toile-106-x-141-cm-la-valette-national-museum-of-fine-arts« Le tranchant de mon amour pour toi me fait perdre la tête et c’est parfait ; si on s’inquiétait pour sa tête, on n’irait plus nulle part.

La plume est le plus bas degré de ce qui existe. Ne vois-tu pas que la plume n’a pas accès à la pureté avant que sa tête ait été taillée ? »

Echantillon de calligraphie, Iran, XVI-XVIIIe siècle (Vever Collection, Simthsonian, 86.0344), cité par Denis Hollier, « A l’en-tête d’Holopherne », in Les Dépossédés (Bataille, Caillois, Leiris, Malraux, Sartre), Ed. de Minuit, 1993, p. 139.

Peinture de Valentin de Boulogne (1591-1632), Judith et Holopherne (vers 1626), La Valette, Musée National des Beaux-Arts.

Si, comme le pense Denis Hollier, Michel Leiris s’identifie à Holopherne décapité, ne peut-on croire que Valentin lui aussi se montre sacrifié par la femme vierge, comme Cristofano Allori avait prêté ses traits à Holopherne et ceux de sa maîtresse à Judith, et comme Le Caravage se représentait en Goliath vaincu?

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Valentin, dans toute son oeuvre, se montre insatisfait du peu de justice que le mâle accorde à la femme, et affirme la volonté d’une sorte de revanche improbable mais possible. Regret, repentir, remords d’une faute masculine jamais avouée, toujours voilée mais jamais effacée, même par le bain fatal dans une fontaine de Rome ?

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ma main sur son front

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« (Pour dire adieu à son cadavre, si juvénile malgré le mal qui dès longtemps lui rongeait les poumons, ma main posée quelques secondes sur le front froid d’une femme de mon siècle et de mon climat en qui j’avais placé le meilleur de mon amitié, moi qui – sans être un homosexuel – regarde l’amitié comme une espèce d’amour et suis probablement – quelque dégoût que j’aie pour la sublimité des amours platoniques – l’homme des amitiés féminines plutôt que celui de la passion ; j’ai découvert plus tard que ce geste dernier adressé à une créature qui depuis des années entretenait avec l’ange de la mort des rapports si familiers qu’elle semblait lui avoir emprunté un peu de son impénétrabilité de marbre n’avait été que la machinale mais tendre reproduction d’un geste plus ancien, accompli du temps qu’elle était encore à peu près en santé : un soir que nous traînions à quelques-uns dans les bars de Montmartre et qu’elle s’était enivrée, ainsi qu’il arrivait souvent quand elle ne pouvait plus soutenir l’effort qu’il lui fallait pour sauvegarder un équilibre qui ne tenait jamais qu’à un fil, suspendue qu’elle était entre la glace et le feu par sa rigueur et sa passion, son dégoût et son goût de la vie, son messianisme social et son incapacité de subir une contrainte, j’avais posé ma main sur son front pour l’aider à s’affranchir de sa nausée en vomissant, caresse unique dont ma paume droite – sur laquelle pesait cette tête qui s’abandonnait, autant par l’effet de l’alcool que par celui des antinomies implacables dont elle était éternellement la proie – n’a pas perdu le souvenir. Comme en témoignent tels des feuillets qu’elle avait rédigés, cette amie avait choisi pour se dépeindre le prénom émouvant de « Laure », émeraude médiévale alliant à son incandescence un peu chatte une suavité vaguement paroissiale de bâton d’angélique.) »

© Michel Leiris, Fourbis, La Règle du Jeu, Gallimard, Pléiade, p. 494-495 (édition de Denis Hollier).

 

Les feuillets dont parle ici Leiris ont été publiés hors commerce en 1939 et 1943. Colette Peignot est née en 1903 et morte en novembre 1938. L’amitié entre Bataille et Leiris fut scellée par cette mort de « Laure ».

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Georges Bataille écrit à Michel Leiris

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Georges Bataille – Michel Leiris, Echanges et Correspondances, Gallimard, 2004, p. 111

Le 20 janvier 1935 :

« N’imagine pas que je t’écrive ainsi hostilement. Au contraire, si j’avais en ce moment de l’hostilité contre toi – comme cela m’est arrivé – je n’aurais pas songé à t’écrire. D’ailleurs je sais qu’il y a aussi de ma faute, ce qui ne m’empêche pas d’éprouver parfois de tout cela une extrême tristesse. Je suppose que mon amitié a quelque chose de pesant pour ceux que j’aime le plus. J’ai un accès plus facile – surtout plus humain – auprès de ceux que j’aime moins. Sans aucun doute, la pire déception que j’ai eue, c’est la stagnation et l’épuisement de toute vie amicale qui devient en peu d’années la chose la plus vide et ne se justifie plus que dans le passé. »

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Bataille par Leiris

Le portrait de Bataille par Leiris est magnifique et assez effrayant : « Plutôt maigre et d’allure à la fois dans le siècle et romantique, [il] possédait l’élégance dont il ne départirait jamais […] A ses yeux assez rapprochés et enfoncés, riches de tout le bleu du ciel, s’alliait sa curieuse dentition de bête des bois, fréquemment découvertes par un rire que (peut-être à tort) je jugeais sarcastique. »
«De Bataille l’impossible à l’impossible Documents», Michel Leiris, A propos de Georges Bataille, Fourbis, 1988, p. 19.

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