Georges Bataille écrit à Michel Leiris

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Georges Bataille – Michel Leiris, Echanges et Correspondances, Gallimard, 2004, p. 111

Le 20 janvier 1935 :

« N’imagine pas que je t’écrive ainsi hostilement. Au contraire, si j’avais en ce moment de l’hostilité contre toi – comme cela m’est arrivé – je n’aurais pas songé à t’écrire. D’ailleurs je sais qu’il y a aussi de ma faute, ce qui ne m’empêche pas d’éprouver parfois de tout cela une extrême tristesse. Je suppose que mon amitié a quelque chose de pesant pour ceux que j’aime le plus. J’ai un accès plus facile – surtout plus humain – auprès de ceux que j’aime moins. Sans aucun doute, la pire déception que j’ai eue, c’est la stagnation et l’épuisement de toute vie amicale qui devient en peu d’années la chose la plus vide et ne se justifie plus que dans le passé. »

Bataille par Leiris

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Le portrait de Bataille par Leiris est magnifique et assez effrayant : « Plutôt maigre et d’allure à la fois dans le siècle et romantique, [il] possédait l’élégance dont il ne départirait jamais […] A ses yeux assez rapprochés et enfoncés, riches de tout le bleu du ciel, s’alliait sa curieuse dentition de bête des bois, fréquemment découvertes par un rire que (peut-être à tort) je jugeais sarcastique. »
«De Bataille l’impossible à l’impossible Documents», Michel Leiris, A propos de Georges Bataille, Fourbis, 1988, p. 19.

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Méfiance

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photo Gyula Zarand

Il est évidemment déplorable d’avoir un cœur humain. Ce que nous voulons ce n’est pas nous incorporer au thème d’une humanité conçue de telle ou telle façon, mais nous affirmer malgré ce thème. L’amour du prochain a une originalité évidente. Il procède du sentiment que chaque être réalise une exception. L’unification humanitaire des passions peut être conçue par quelque dogme social, jamais par la littérature.

C’est pourquoi il n’y a pas lieu de se plaindre qu’une masse d’hommes se trouve coupée d’une connaissance suffisante et se compose de groupes foncièrement étrangers. Le premier enseignement de la littérature c’est l’indépendance et la sauvagerie (d’accord avec l’amour, l’amitié et n’importe quelle expression de l’amour).

N’exagérons rien. Tout de même il y a par exemple des lecteurs de romans d’amour, parmi ceux-ci certains tiennent pour le mariage, d’autres pour la liberté passionnelle, d’autres pour la courtoisie, pour le coup de foudre, le malheur, le bonheur, les scènes, la jalousie, une sagesse, une amitié. […]

Croyez-vous qu’en somme le public se compose d’aussi étonnantes variétés ? En tout cas chacun recherche bien cette sauvagerie dont je parlais, quelque sentiment qui ne soit qu’à lui, et ressemble si rarement à celui d’un autre que les amitiés sont toujours exceptionnelles quoique fréquentes.

Mais la meilleure preuve est cette méfiance qui se manifeste partout.

André Dhôtel, La Littérature et le hasard, Fata Morgana, 2015, pp. 42-43.

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Quand on voit partout cette méticuleuse méfiance, il y a mieux à faire que de la secourir ou de l’étayer, comme le préconisait héroïquement Kafka – « Dans le combat entre le monde et toi, seconde le monde », mais il serait absurde de lutter contre elle, de faire le moindre geste, de proférer la moindre parole pour tenter de la dissoudre. Il sera tout de même permis d’en rire.

Le poète et le temps

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Mario Luzi développe, en particulier dans ses derniers recueils «symphoniques», une profonde méditation sur le temps, pensé dans la perspective qui est la sienne, chrétienne, d’éternité. En voici un exemple dans un poème publié dans le livre Sotto specie umana à Mi­lan en 1999, et traduit en français par Jean-Yves Masson sous le titre A l’image de l’homme (Verdier, 2004). (Je donne la traduction en français, suivie du texte original.)

© Editions Verdier 2004 pour la traduction française de Jean-Yves Masson

© Garzanti Milano 1999 pour le texte originalLUZI_STAT_OCTOBRE_DORE_MASSON - copie

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L’enseignement

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« L’élève pour lequel on fait chacun de ses cours, pour lequel on érige sa parole, pour lequel on la dirige vers plus de justesse, et qu’on ne regarde jamais, auquel on ne va jamais parler, par humilité et par nécessité : on  ne doit pas trop exister pour lui. On ne doit pas faire écran. (Cette année, c’est Maria la flibustière des mers de Chine; au début de l’enseignement, ce fut Saïd le philosophe, qui partageait en tout ma morale de la distance.) »

                 La Fin de l’attente, Le Temps qu’il fait, p. 82.

Maria laissa un jour dans un devoir une lettre en anglais de son père, et eut un étrange regard quand je lui rendis sa copie avec la lettre bien cachée. Saïd me demanda avec une émotion non feinte à quoi pouvait bien servir le poème de Mallarmé « Brise marine ». Chacune de ses « rédactions » était admirable, et je regrette de ne pas les avoir toutes copiées pour pouvoir les relire. Il avait une vive sensibilité proustienne, et on comprend bien qu’il ne pouvait souffrir les bibelots du jeune Mallarmé. Saïd m’a donné à lire un des plus beaux textes que j’ai lus sur la Mère, tout empreint de la plus noble compassion.