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photo Gyula Zarand
Il est évidemment déplorable d’avoir un cœur humain. Ce que nous voulons ce n’est pas nous incorporer au thème d’une humanité conçue de telle ou telle façon, mais nous affirmer malgré ce thème. L’amour du prochain a une originalité évidente. Il procède du sentiment que chaque être réalise une exception. L’unification humanitaire des passions peut être conçue par quelque dogme social, jamais par la littérature.
C’est pourquoi il n’y a pas lieu de se plaindre qu’une masse d’hommes se trouve coupée d’une connaissance suffisante et se compose de groupes foncièrement étrangers. Le premier enseignement de la littérature c’est l’indépendance et la sauvagerie (d’accord avec l’amour, l’amitié et n’importe quelle expression de l’amour).
N’exagérons rien. Tout de même il y a par exemple des lecteurs de romans d’amour, parmi ceux-ci certains tiennent pour le mariage, d’autres pour la liberté passionnelle, d’autres pour la courtoisie, pour le coup de foudre, le malheur, le bonheur, les scènes, la jalousie, une sagesse, une amitié. […]
Croyez-vous qu’en somme le public se compose d’aussi étonnantes variétés ? En tout cas chacun recherche bien cette sauvagerie dont je parlais, quelque sentiment qui ne soit qu’à lui, et ressemble si rarement à celui d’un autre que les amitiés sont toujours exceptionnelles quoique fréquentes.
Mais la meilleure preuve est cette méfiance qui se manifeste partout.
André Dhôtel, La Littérature et le hasard, Fata Morgana, 2015, pp. 42-43.
Quand on voit partout cette méticuleuse méfiance, il y a mieux à faire que de la secourir ou de l’étayer, comme le préconisait héroïquement Kafka – « Dans le combat entre le monde et toi, seconde le monde », mais il serait absurde de lutter contre elle, de faire le moindre geste, de proférer la moindre parole pour tenter de la dissoudre. Il sera tout de même permis d’en rire.